L’heure de vérité pour Monsieur Oh et l’équipe de France olympique
Il pourrait presque passer inaperçu. En retrait, Oh Seon Tek observe.
Celui qu’on appelle Monsieur Oh préfère l’ombre à la lumière. C’est ainsi qu’il guide les archers français, laissant la longue-vue des arènes aux coaches fédéraux tricolores. Il préfère prendre un peu de recul. Et analyser.
À quelques jours du début des Jeux de Paris 2024, ce sont plus de deux ans de labeur qui arrivent à échéance. Le travail de fond effectué, les obstacles franchis, la méthode acquise, il est temps désormais d’en voir le résultat.
Et celui-ci devra être positif. À la hauteur des attentes.
“En tant que head coach de l’équipe de France, tout ce que je souhaite, ce qui me plairait le plus, c’est obtenir de bons résultats,” expose M. Oh.
C’est pour cela que Benoît Binon, le Directeur Technique National, a fait venir l’entraîneur coréen. Pour ses Jeux à domicile, l’encadrement technique français a des ambitions. L’engagement a donc été total, quitte à bouleverser les habitudes, à casser les codes.
“Mon arrivée a été un changement brutal pour les archers,” raconte M. Oh avec tranquillité. “Il y a eu beaucoup de changements par rapport à la puissance, à la longueur de l’allonge. Ceci a constitué la première étape.”
Ses méthodes, la barrière de la langue, les différences de culture ont parfois été difficiles à accepter pour certains.
Il y a près d’un an, lors du test event sur le site olympique des Invalides, à Paris, pour la quatrième étape de la Coupe du Monde, Oh Seon Tek estimait que le travail global de préparation des Jeux avait été effectué à 50%.
Il a fallu du temps. Petit à petit, les choses se sont mises en place, les Français ont obtenu les premiers bons résultats.
En individuel, il y eut la médaille d’argent de Lisa Barbelin à Paris en 2023, sa participation à la phase finale de la Coupe du Monde; ou celle, en bronze, de Jean-Charles Valladont aux Jeux Européens cette année. Malgré les difficultés de compréhension, la régularité qui a tardé à s’établir.
“Ce n’était pas facile au départ,” explique M. Oh. “Ces derniers mois, on a travaillé la précision, la technique. Il fallait aux archers bien assimiler la technique qui fonctionne pendant l’entraînement, puis pendant la compétition.”
“Ceux que j’ai voulu avoir ici avec moi, à l’INSEP, sont des archers forts en compétition,” précise-t-il. “Pas simplement des archers bons à l’entraînement mais qui ne parviennent pas à réitérer lorsqu’il y a de l’enjeu.”
“Le plus important est la régularité, le fait d’avoir des résultats stables.”
Pourtant, le Coréen n’a jamais fixé d’objectifs clairs en termes de résultats lors des compétitions. Une façon pour lui de concentrer l’effort de ses athlètes sur leur propre progression, sans l’obsession du succès. Pour pouvoir peut-être mieux l’obtenir aux Jeux Olympiques. L’objectif ultime.
“Chaque compétition, qu’elle soit internationale ou domestique, fut un point de passage,” clame-t-il. “Quand il y a eu des erreurs, des contre-performances, ce n’était pas grave.”
“Il s’agissait de bons moments d’apprentissage, pour ne pas commettre les mêmes fautes en arrivant à Paris. On a simplement cherché à capitaliser sur tous les points faibles, mais aussi tous les points forts et les succès. Ce furent des opportunités pour progresser.”
Des succès, Oh Seon Tek en a déjà engrangés avec les Bleus, tout particulièrement lors des épreuves par équipe. Une catégorie très importante pour l’homme de 63 ans, tout autant que l’individuel ou le double mixte.
Sur les deux dernières saisons, les équipes de France ont obtenu pas moins de huit médailles sur le circuit mondial – six chez les femmes, deux chez les hommes. Dont la moitié durant les deux derniers mois.
Et surtout, deux titres européens par équipes à Essen en mai dernier.
Très attentif aux performances de groupe, M. Oh a identifié deux éléments majeurs pour faire progresser le tir par équipe des Français.
“Il faut qu’il y ait très peu d’écart entre les trois archers. Certes, si on a un archer très fort, c’est bien. Mais si le deuxième et le troisième ne sont pas aussi performants que le premier, il y a très peu de chance de faire des résultats.“
L’entraîneur en chef a donc fait en sorte de diminuer l’écart entre chacun sur le niveau de performance. Avant de s’attaquer à un autre facteur déterminant: la cohésion.
“Il y a aussi le travail d’équipe,“ continue le Coréen. “C’est plus un aspect mental, invisible, mais qui est très important. L’année dernière, nous avons eu pas mal de bons résultats grâce à l’entente entre coéquipiers, notamment chez les filles.“
“Si on a des équipes soudées, les résultats seront meilleurs. J’ai beaucoup insisté sur ce point auprès des archers. Au lieu d’être performant tout seul, si ils augmentent leur niveau de performance et l’atmosphère tous ensemble, l’équipe sera encore meilleure.“
L’espoir est donc de mise côté tricolore, à une poignée de jours maintenant du début des Jeux de Paris 2024. Pourtant, M. Oh le sait mieux que quiconque, il restera un obstacle majeur pour les archers français: vaincre la toute-puissante Corée.
Son expérience sera probablement l’un des atouts principaux des Français, dans leur quête d’un des plus grands exploits de leur histoire.
“Les Coréens travaillent à haut niveau dans le tir à l’arc depuis près de 40 ans,“ explique Oh Seon Tek. “Ils ont la recette pour gagner des titres, historiquement, pour rester au sommet. C’est le top mondial.“
“Mais si on est stables et sereins au moment où, de leur côté, un peu de pression, de stress pourra se faire sentir, lorsque des points faibles sur leur mental apparaîtront, si on utilise ce genre de moment de moins bien, alors il y aura une chance de gagner.“
Il faudra aux six archers tricolores un surplus de force, de courage et de détermination. Cela, il le puiseront sans doute, en partie, dans l’appui du public.
Le soutien des supporters français, ainsi que l’avantage d’être à domicile, de connaître les lieux, de vivre cette aventure unique des Jeux Olympiques dans leur pays seront des atouts que les archers devront exploiter au mieux, selon M. Oh.
“C’est un honneur pour l’équipe de France, pour les archers. Dans leur vie, ça n’arrivera qu’une fois. Il y a des avantages, mais aussi des inconvénients: la pression, le stress qui monte.“
“C’est là où on en revient à la régularité,“ continue le coach principal. “Elle donne du calme, de la stabilité, par le fait d’avoir déjà performé régulièrement peu importent les conditions.“
Dans quelques jours, Lisa Barbelin, Jean-Charles Valladont et leurs coéquipiers montreront toute l’étendue du travail réalisé avec cet entraîneur coréen qu’ils durent apprendre à connaître, à comprendre, à accepter.
Même si la préparation concoctée par M. Oh fut dure, aussi bien mentalement que physiquement, tout a été fait dans un seul et unique but: gagner.
“Lorsque nous sommes revenus d’Antalya, après la compétition printanière de Bagatir, où nous avons gagné des médailles (l’or pour Valladont et l’équipe masculine, le bronze pour l’équipe féminine), nous étions dans le minibus avec les archers pour rentrer à l’INSEP depuis l’aéroport,“ raconte Oh Seon Tek.
“Je leur ai dit que je me sentais un peu fatigué. Ils m’ont demandé pourquoi, alors que la compétition était finie et qu’on allait pouvoir se reposer.“
“Je leur ai répondu que quand on a plus de médailles, tout est moins fatigant. Je souhaite donc avoir le plus de médailles possibles.“
Pour récompenser plus de deux ans de travail.
L’échéance est là, Paris 2024 débute. Pour M. Oh, c’est l’heure de vérité.