Les Bleus: Le tir à l’arc français sur la bonne voie en vue des Jeux Olympiques de 2024?
C’est à Minsk, en 2019, à l’issue de Jeux européens où l’équipe de France s’était battue en vain pour une place olympique, qu’une Audrey Adiceom profondément frustrée avait offert à WorldArchery.sport l’une des plus illustres réactions du tir à l’arc à ce jour:
“Je pense que c’est comme lorsque vous êtes dans une pizzeria et que vous avez vraiment faim. Vous saviez ce que vous vouliez. Vous pensiez que ce serait tellement bien. Et puis vous la voyez, la pizza arrive. Vous la voyez. Elle est chaude, elle est belle,” disait-elle.
“Mais elle est pour la table d’à côté.”
Qu’on ne s’y trompe pas, il y a quatre ans, le tir à l’arc français était en crise.
Lors des deux tournois majeurs organisés cette année-là attribuant des quotas pour les Jeux Olympiques de 2020, les Championnats du Monde Hyundai de tir à l’arc à Den Bosch et les Jeux européens de Minsk, la France était repartie les mains vides.
L’une des principales nations européennes de tir à l’arc, qui avait tout juste annoncé qu’elle accueillerait les Jeux en 2024, n’avait toujours aucun archer qualifié pour Tokyo.
Lors des dernières éditions des championnats du monde, huit quotas d’équipes en arc classique étaient mis en jeu chez les hommes et chez les femmes. Cela signifiait que les équipes n’avaient qu’à gagner leurs huitièmes de finale pour obtenir une place. Ces 45 minutes avaient été étrangement intenses, au beau milieu d’une longue semaine de compétition.
(Les choses seront différentes en 2023, puisque seuls trois billets par catégorie de genre seront en jeu et que les équipes devront donc monter sur le podium).
Aucune des équipes de France n’avait alors remporté son match.
Et un autre test attendait Adiceom: un tournoi secondaire pour une place individuelle féminine, dans lequel trois des quatre athlètes en lice étaient retenues. La Française allait terminer à une terrible quatrième place.
Des quotas supplémentaires étaient encore à prendre à Minsk, mais la délégation française, le moral en berne, ne s’était pas montrée à la hauteur.
Après une attente angoissante, exacerbée par la pandémie et le report de douze mois des épreuves de qualification et des Jeux eux-mêmes, la France avait finalement obtenu trois places chez les hommes et une place chez les femmes lors des derniers tournois de qualification en 2021. Mais c’est la championne d’Europe surprise Lisa Barbelin qui serait du voyage à Tokyo, et non Audrey.
Le seul fait marquant individuel pour la France à Tokyo serait une place dans le top 16 de Barbelin, bien maigre pour une nation qui pointe pourtant au quatrième rang du tableau des médailles olympiques de tous les temps en tir à l’arc et qui a participé à plus de compétitions olympiques dans ce sport (toutes époques confondues) que n’importe quel autre pays.
Mais il n’est pas question de renoncer.
“Nous sommes tous ici en train de nous préparer pour les Jeux Olympiques et ce n’est qu’une question de temps,” dit aujourd’hui Adiceom.
“Je sais que je serai là. Je dois juste attendre ma pizza.”
En 2023, la commande est passée, le four est allumé et la galette parfaite d’Audrey est à nouveau d’actualité.
Les deux équipes de France de tir à l’arc classique ont en effet remporté chacune des places pour les Jeux européens de cette année lors de la dernière épreuve de qualification, qui s’est tenue début avril à Lilleshall. Et Jean-Charles Valladont, médaillé d’argent aux Jeux Olympiques de Rio en 2016, a semble-t-il décidé que 2023 serait la saison de sa renaissance, remontant le cours des ans pour remporter cette épreuve, avant d’enchaîner avec une médaille d’argent lors de l’ouverture de la saison de la Coupe du Monde Hyundai de tir à l’arc à Antalya.
L’année dernière, les Français avaient remporté cinq médailles individuelles sur le circuit international, toutes catégories confondues, et Nicolas Girard avait terminé deuxième de la Finale de la Coupe du Monde Hyundai de tir à l’arc.
L’équipe masculine en arc à poulies avait atteint la finale lors des quatre étapes en 2022, terminant deuxième aux deux premières, mais remportant ensuite les deux suivantes à Paris et Medellin, après l’arrivée de Girard dans l’alignement. Les archers poulies s’entraînent séparément de l’équipe olympique, mais les victoires font la différence.
“Quand un athlète est performant, cela apporte indéniablement du succès à toute l’équipe,” a dit un porte-parole de la fédération française.
La France n’est pas obligée de se battre pour obtenir des places lors de ce cycle olympique. En tant que pays hôte, elle reçoit automatiquement un quota complet de trois hommes et trois femmes pour les compétitions de tir à l’arc aux Jeux de Paris 2024.
Au lieu de cela, les archers éligibles cherchent à prouver qu’ils méritent une place dans ces équipes.
Adiceom participera au moins aux deux premières épreuves de la Coupe du Monde Hyundai de tir à l’arc, à Antalya et à Shanghai. Elle espère vivement ne pas manquer une deuxième olympiade de suite.
Avec encore Barbelin et la championne du monde junior Caroline Lopez, Adiceom et les Françaises sont montées sur le podium en ouverture de saison, remportant le bronze à Antalya. C’est peut-être une indication, très précoce, que l’investissement dans le sport français produit des résultats. Il y a eu une augmentation significative du budget et l’équipe est entièrement financée depuis septembre 2022.
“Avant, tout le monde menait une sorte de double vie, avec des études ou un travail”, explique Audrey. “Mais pour les Jeux Olympiques, il faut être très, très focalisé. Il faut l’être à 100%.”
“Pas à pas, nous sommes tous concentrés, concentrés. C’est beaucoup de tir à l’arc chaque jour et nous sommes en train de construire une bonne équipe. Les filles et les garçons s’entraînent chaque jour ensemble pour que le résultat soit de plus en plus satisfaisant.”
Les fonds ont également été injectés dans la gestion. L’ancien sélectionneur Oh Seon Tek a ainsi été engagé pour superviser le programme, qui a adopté de nombreux modèles importés au cours de l’année écoulée, notamment un nouveau système de sélectifs plus proche de celui de la Corée, avec plusieurs étapes bien réparties tout au long de la pré-saison.
Le directeur technique national Benoit Binon n’a pas caché les parallèles entre la nouvelle approche française et celle de la Corée.
“Une première étape nous permet de définir un groupe d’athlètes en août ou septembre pour travailler tout l’hiver. Ensuite, en début d’année, nous sélectionnons les membres qui composeront l’équipe de France pour la saison,” a-t-il précisé.
Comme dans le système coréen, huit archers et archères en arc classique ont ainsi été sélectionnés dans l’équipe pour la période hivernal, avant qu’un tournoi de printemps ne permette de définir les équipes A et B pour la saison en plein air.
“Cette stratégie devrait nous permettre de mettre les athlètes dans de meilleures dispositions mentales et réduire les incertitudes liées à la sélection, ce qui rendra l’entraînement plus efficace,” a ajouté Binon.
Adiceom et ses partenaires de l’équipe de France ne se font pas d’illusion sur l’attention particulière suscitée par les prochains Jeux Olympiques.
“C’est comme si tout était plus grand,” dit-elle. “Nous n’avons plus de problèmes de matériel ou autres. J’ai de la chance car j’ai beaucoup de sponsors qui peuvent m’aider. Nous pouvons tirer tous les jours avec des flèches en parfait état.”
Il s’agit d’une explication très matérialiste d’un concept simple: dans la perspective de ses Jeux à domicile, la France investit dans les résultats de ses athlètes nationaux.
Mais qu’en sera-t-il après? La France investit-elle vraiment dans le cadre d’un héritage pour ce sport?
Les efforts de la Fédération Française de Tir à l’Arc ne se concentrent pas uniquement sur ses athlètes, mais aussi dans un effort plus large visant à renforcer le noyau d’officiels, de bénévoles, de clubs et de lieux de pratique du sport.
“La diversité est un élément important,” a déclaré le porte-parole de la fédération. “Tout comme l’équité entre les genres. Et offrir à tout en chacun la possibilité de participer.”
Il était ainsi essentiel d’organiser une étape de la Coupe du Monde Hyundai de tir à l’arc dans la capitale française au cours des trois années précédant les Jeux, de 2021 à 2023.
L’événement qui aura lieu cette année en août (la dernière étape du circuit) servira d’épreuve test officielle pour Paris 2024, avec la construction d’une arène pour les finales sur le futur site olympique et paralympique des Invalides.
“Il était important de raconter cette histoire. De Tokyo à Paris, la Coupe du Monde est le fil conducteur,” le porte-parole de conclure. “Nous avons travaillé avec la Coupe du Monde pour donner au tir à l’arc une place dans la capitale pendant trois saisons. Maintenant, c’est à eux [les athlètes] de finir en beauté et d’offrir des moments inoubliables jusqu’en 2024.”
Pour sa compétition olympique de 2024, le tir à l’arc revient une nouvelle fois dans un site emblématique au cœur d’une ville historique. L’événement attirera des spectateurs de toute la France et du monde entier. Mais dans un sport où les médailles ne sont pas faciles à obtenir (leur nombre est faible et il y a une nation favorite incontestable), ce sont les podiums qui galvanisent vraiment l’attention du public.
“Je fais à nouveau de la pizza,” termine Adiceom, qui semble ne pas pouvoir se départir de cette métaphore savoureuse. “Je cuisine tous les jours de huit heures et demie le matin à sept heures du soir. Je peux sentir l’odeur!”